Antoni Gaudi 1852 - 1926
Architecte et designer, Antoni Gaudi est sur le plan international la plus prestigieuse des figures de l'architecture espagnole.
Né à Reus, en Catalogne, il obtient son diplôme en 1878 à Barcelone où il centre son activité.
Grand designer, il a créé, en étroite collaboration avec les meilleurs artisans de l'époque, tous les éléments qui forment l'espace architectonique - fer forgé, mobilier, vitraux, sculptures, mosaïques, céramiques etc.- dans une conception organique de la décoration tout en intégrant ces éléments dans la structure de la construction.
Le paysage marin est l'un de ses thèmes d'inspiration préféré.
Admiré et controversé de son vivant pour l'audace et la singularité de ses innovations, il jouit aujourd'hui d'une notoriété indiscutable partout dans le monde, à la fois dans les milieux spécialisés et dans le grand public.
Pedro Uhart
Photo par Paul Adouard, La Havane, 1857 - 1918
Architecte et designer, Antoni Gaudi est sur le plan international la plus prestigieuse des figures de l'architecture espagnole.
Né à Reus, en Catalogne, il obtient son diplôme en 1878 à Barcelone où il centre son activité.
Grand designer, il a créé, en étroite collaboration avec les meilleurs artisans de l'époque, tous les éléments qui forment l'espace architectonique - fer forgé, mobilier, vitraux, sculptures, mosaïques, céramiques etc.- dans une conception organique de la décoration tout en intégrant ces éléments dans la structure de la construction.
Le paysage marin est l'un de ses thèmes d'inspiration préféré.
Admiré et controversé de son vivant pour l'audace et la singularité de ses innovations, il jouit aujourd'hui d'une notoriété indiscutable partout dans le monde, à la fois dans les milieux spécialisés et dans le grand public.
Pedro Uhart
Photo par Paul Adouard, La Havane, 1857 - 1918
ENTRETIEN Philippe Thiébaut, Conservateur général au Musée d'Orsay s'entretient avec Pedro Uhart dans son livre
ENTRETIEN
Philippe Thiébaut, Conservateur général au Musée d'Orsay s'entretient avec Pedro Uhart dans son livre "Gaudi Bâtisseur Visionnaire" - Gallimard 2001
UN CONNAISSEUR PASSIONNÉ: PEDRO UHART
Considéré comme l’un des plus importants collectionneurs privés de Gaudi, Pedro Uhart est né en 1938 à Concepción (Chili). Il étudie le droit tout en pratiquant la peinture. En 1962 il quitte le Chili pour s’installer en Europe. En 1971 il commence à peindre sur des draps libres, auxquels il donne le nom de « murals flottants », et qu’il présente dans les rues et jardins publics. L’un d’eux, baptisé « Once de septembre 1973 » et montré à la Biennale de Paris, dénonce le coup d’État au Chile et l’assassinat de Salvador Allende. D’autres sont exposés à Londres et à New York. A partir de 1976 il commence ses recherches sur la photocopie couleur et le Polaroid. Depuis 1977 il expose régulièrement en Europe et aux Etats-Unis.
Dans quelles circonstances avez-vous découvert l’œuvre de Gaudi ?
Nous avions décidé, avec un ami vénézuélien, également peintre, de visiter l’Espagne durant nos vacances de l’été 1965. Notre première étape importante fut Barcelone. Nous avons été immédiatement saisis d’une émotion si violente face à l’architecture de Gaudí que j’ai décidé d’en savoir plus sur son œuvre et que je me suis promis de revenir dès que possible.
Les livres m’ont été d’une grande utilité pour mener mon enquête. J’avais pu me procurer entre autres l’ouvrage de José Ráfols publié en 1928 dans lequel j’ai vu pour la première fois des meubles et objets de Gaudí. Ces publications anciennes m’ont beaucoup aidé dans la constitution de ma collection. Comme elles avaient aidé Joan Ainaud de Lasarte (1919–1995), directeur général des Musées d’art de Barcelone de 1948 à 1985, qui fut le premier à organiser des expositions sur l’Art Nouveau catalan et fit entrer au musée d’Art moderne les premières pièces d’artistes modernistes tels que Gaspar Homar, Joan Busquets, Lluis Masriera.
Dans la préface du catalogue de l’Esposición de artes suntuarias del Modernismo barcelonés qui s’ouvrit à l’automne 1964, il déclarait : « Je me suis trouvé comme un détective à la recherche des objets en me fondant sur le livre de Cirici Pellicer (il s’agit de El Arte modernista catalán publié en 1951) qui était richement illustré ; avec les conservateurs nous nous sommes aperçus de l’ampleur insoupçonnée des disparitions et destructions. Pensons par exemple à la quantité de mobilier qui a été nécessaire pour remplir les pièces de la Pedrera ; seuls sont restés en place, lors de la transformation radicale du décor, deux petites pièces en terre cuite de Lambert Escaler. »
De cette exposition Gaudí était d’ailleurs absent et il faut attendre 1969 avec l’exposition présentée à Madrid, El Modernismo en España, pour voir Gaudí représenté notamment par des meubles et pièces en fer forgé provenant de la casa Milá ainsi que par des photographies de ses réalisations.
Quels sentiments suscitait à l’époque de votre découverte l’œuvre de Gaudí ?
On peut dire qu’il régnait à cette époque une certaine indifférence héritée du mouvement du Noucentisme qui réagissait contre le Modernisme. Les partisans du Noucentisme, tel Eugeni d’Ors, n’ont cessé de dénigrer l’œuvre de Gaudí, allant jusqu’à réclamer son anéantissement.
Les effets des articles alors publiés ont contaminé toute une génération, y compris celle des disciples de Gaudí qui l’entouraient dans les dernières années de son activité. Où sont en effet les déclarations qui témoigneraient d’une prise de position en faveur de leur maître ? Gaudí était vraiment seul.
Salvador Dalí sera vraiment le premier artiste catalan à l’admirer et à prendre vigoureusement parti en faveur de son art. Dalí raconte que c’est Federico García Lorca qui lui fit découvrir les beautés de la Sagrada Familia et rapporte ses propos devant la Façade de la Nativité :
« J’entends un brouhaha de cris qui se font de plus en plus stridents en allant vers le ciel, jusqu’à se mêler avec les trompettes des anges dans une clameur que je ne pourrai supporter que quelques instants. »
En 1956 est créée à l’Ecole supérieure d’Architecture de Barcelone la Catedra Gaudí qui organise les premiers cours sur Gaudí, assure des publications et produit des expositions, comme en 1967 l’exposition Gaudí. Mais à la fin des années 1970 alors que s’affirme sur un plan international la reconnaissance de l’architecte, celui-ci à Barcelone même continue d’être ignoré par les habitants qui le considèrent certes comme quelqu’un de la famille, mais quelqu’un à moitié fou, à moitié génial.
Ses maisons, enveloppées d’un voile de mystère, dans lesquelles il était difficile de pénétrer, donnaient l’impression d’être abandonnées. La crasse s’accumulait sur le banc en céramique du Park Güell. Le seul endroit vivant était la Sagrada Familia où l’on continuait de construire.
La plupart des pièces d’ébénisterie et objets que j’ai acquis n’avaient pas été entretenus depuis fort longtemps et j’ai souvent dû les faire restaurer pour éviter une perte irrémédiable : c’est le cas des portes de la chapelle privée et de la vitrine de la salle à manger de la casa Batlló ainsi que de la majeure partie des objets et du mobilier provenant de la Casa Milá.
Avez-vous, au cours de vos recherches, rencontré des personnes qui avaient connu Gaudí ?
J’ai eu l’occasion de faire la connaissance de descendants de commanditaires de Gaudí qui m’ont fourni beaucoup de renseignements.
C’est ainsi qu’un descendant de Batlló m’a raconté qu’en 1936 pendant la guerre civile toute la famille Batlló avait quitté Barcelone pour se réfugier en Italie. Malgré la solidité des volets qui protégeaient les fenêtres, le gens se sont introduits dans la maison et ont emporté une partie du mobilier. Il m’a aussi appris que les balustrades des balcons en forme de masques étaient revêtues sur leur face interne d’une peinture dorée, ce qui ajoutait encore aux irisations de la façade.
Un membre de la famille Güell m’a révélé qu’un Américain avait voulu acquérir le palais Güell pour le démonter et le transporter pièce par pièce aux Etats-Unis, mais que Dona Mercedes, la fille du comte Güell, avait préféré laisser le bâtiment à la Diputació de Barcelone à la condition qu’il soit conservé dans son état.
Toutefois le mobilier, conservé par la famille, fut réparti entre les héritiers.
Il m’a également appris, en me montrant le grand paravent fait de panneaux en cuir de Cordoue qui se trouvait dans la salle à manger et les deux grands fauteuils en acajou massif fileté d’or qui eux provenaient du grand salon, que son père avait fait enlever les cuirs de ces deux fauteuils parce que les enfants les détérioraient en sautant dessus.
Au moment où j’ai acheté cet ensemble, il m’a donné un jeu de gravures du palais Güell que le comte avait commandées pour les joindre à l’envoi de Gaudí lors de son exposition à Paris en 1910 ainsi qu’une publication relative á la restauration des cuirs de Cordoue des fauteuils.
Autre exemple de rencontre : une arrière-petite-fille de Calvet me montrait dans sa maison des peintures du sculpteur Josep Llimona, du mobilier en bois doré de Joan Busquets quand tout d’un coup elle ouvrit une porte et je pus découvrir le mobilier de salle à manger de style Louis XV dessiné par Gaudí et que Casanelles mentionnait dans son ouvrage publié en 1965.
Depuis quelque temps, certains historiens de l’art accordent un rôle de tout premier plan au jeune Jujol lors de ses années de collaboration avec Gaudí. Quelle est votre position à ce sujet ?
Il est vrai que plusieurs chercheurs ont créé et continuent à alimenter une polémique relative aux rapports entre Gaudí et Jujol. Toute nouvelle parution – article, livre, catalogue – concernant Jujol lui attribue dans les travaux de Gaudí une part selon moi exagérée.
Il me semble évident que l’architecture de Jujol n’a ni la transcendance ni l’envergure de celle de Gaudí. C’est ainsi par exemple qu’on attribue à Jujol la façade céramique et les balcons en fonte de la casa Batlló, transformée par Gaudí entre 1904 et 1906. Cela me semble improbable étant donné que Jujol est titulaire de son diplôme d’architecte en 1906 et que ce n’est qu’à la fin de cette année-là que Gaudí le choisit comme collaborateur.
A cette époque, Gaudí est âgé de 54 ans et Jujol de 27 ; il est impensable que ce soit l’étudiant qui ait pu décider à lui seul de l’harmonie colorée de cette façade. N’oublions pas que, dès sa première grande réalisation, le palais Güell, de vingt ans antérieure à l’achèvement de la casa Batlló, Gaudí témoigne d’une utilisation architecturale de la couleur jusque-là jamais vue en imaginant les vitraux abstraits de l’étage noble et le revêtement en céramique cassée des cheminées et bouches de ventilation.
Ces applications nous les retrouvons au Park Güell, à la casa Batlló, à la casa Milá, à la Sagrada Familia et à la crypte de la Colonie Güell. Par ailleurs, nous disposons du témoignage d’un maçon, Ramon Dedeu, qui rapporte comment s’est opérée sous la seule direction de Gaudí la mise en place du revêtement de la façade de la casa Batlló.
A propos de la casa Milá, on a dit que c’est à Jujol que revenait la paternité des plafonds. Or Dedeu a également raconté comment Gaudí utilisait une toile métallique pour imprimer dans ces plafonds les reliefs qui flottent comme des nuages dans le ciel et évoquant l’aménagement de l’appartement des propriétaires, il s’émerveillait : « Je ne sais comment l’expliquer, mais dans tout le mobilier et la décoration il y avait la marque du maître. »
En ce qui concerne le mobilier créé par Jujol, je voudrais faire une remarque.
Quand on lui a commandé la décoration en 1911 de la boutique Manach, Jujol a réalisé un comptoir, quelques meubles de rangement ainsi que des chaises pour les clients.
C’est un ensemble que je connais bien pour l’avoir examiné il y a quelques années. Les chaises sont en bois et fer forgé, les trois pieds étant réunis par un anneau soudé qui leur donne une certaine stabilité.
Sur une photo d’époque provenant des archives Jujol, ces chaises apparaissent mais sans anneau. Cet anneau en forme de huit a donc été rajouté postérieurement par Jujol lorsque le pied de devant fixé au bois par une platine et des vis, a cédé à l’usage. Voilà un exemple concret des faiblesses de Jujol dans le domaine de l’ébénisterie. L’assise est d’ailleurs fort inconfortable.
Nous sommes très loin des préoccupations de Gaudí qui aurait pensé, dès le départ, comme le montrent ses créations dans le domaine de l’ébénisterie, au confort et à la solidité de la fabrication.
Il convient également de rappeler cette déclaration d’Enrique Casanelles, premier secrétaire de l’association Les Amis de Gaudí, extraite de son livre Nueva Visión de Gaudí (1965) «Le colorisme de Jujol sous le contrôle de Gaudí n’a jamais connu les faiblesses que nous constatons dans les œuvres personnelles de Jujol.»
Gaudí a-t-il selon vous influencé la création artistique du XXe siècle ?
En décembre 1958 la revue Los Papeles de son armadans rendit hommage à Gaudí : la couverture du numéro était une lithographie de Miró et de nombreuses personnalités (Enrique Casanelles, Azorin, Benjamin Palencia, Ramon Gómez de la Serna, Eduardo Westerdalh, Anthony Kerrigan, C.L. Popovici, Fernando Chueca Goitia) avaient apporté leur collaboration.
L’un des textes, Poliformismo de Gaudí, écrit par le peintre-architecte turinois Alberto Sartoris, se terminait par cette déclaration : « Dans le monde entier, on a trop parlé de Picasso et pas assez de Gaudí. »
N’oublions pas que, lorsqu’il habitait Barcelone, Picasso possédait un atelier situé en face du palais Güell ; il est plus que probable qu’il a vu les vitraux cubistes et les revêtements céramiques abstraits qui s’y trouvaient. Miró n’a jamais cessé d’admirer l’œuvre de Gaudí. Jeune il a pu voir les travaux de restauration entrepris à la cathédrale de Palma de Majorque ; plus tard il a beaucoup regardé l’œuvre de Gaudí et appréciait tout particulièrement le Park Güell.
Le fameux banc en trencadís du parc n’est-il d’ailleurs pas considéré comme un Miró avant la lettre ? Les sculpteurs Julio Gonzales, originaire de Barcelone comme Miró, et Pablo Gargallo ont utilisé le fer forgé d’une manière semblable à celle dont Gaudí l’utilisait dans ses architectures.
Quant à Niki de Saint-Phalle, elle considère Gaudí comme son maître. En 1980, elle réalise en Toscane Le Jardin des Tarots, composé de 22 sculptures monumentales, qui constitue un véritable hommage au Park Güell.
En 1975, j’exposais à New York, à Washington Square, un mural flottant intitulé "The History of War", dénonçant la guerre du Viêt-Nam ; parmi les artistes qui se trouvaient là, il en est un dont j’ai fait la connaissance et avec qui j’ai beaucoup parlé de Gaudí. Il était particulièrement intéressé par le trencadís. Plus tard ses grandes toiles réalisées avec des assiettes cassées ont contribué à sa célébrité. Son nom est…Julian Schnabel.
ENTRETIEN
Philippe Thiébaut, Conservateur général au Musée d'Orsay s'entretient avec Pedro Uhart dans son livre "Gaudi Bâtisseur Visionnaire" - Gallimard 2001
UN CONNAISSEUR PASSIONNÉ: PEDRO UHART
Considéré comme l’un des plus importants collectionneurs privés de Gaudi, Pedro Uhart est né en 1938 à Concepción (Chili). Il étudie le droit tout en pratiquant la peinture. En 1962 il quitte le Chili pour s’installer en Europe. En 1971 il commence à peindre sur des draps libres, auxquels il donne le nom de « murals flottants », et qu’il présente dans les rues et jardins publics. L’un d’eux, baptisé « Once de septembre 1973 » et montré à la Biennale de Paris, dénonce le coup d’État au Chile et l’assassinat de Salvador Allende. D’autres sont exposés à Londres et à New York. A partir de 1976 il commence ses recherches sur la photocopie couleur et le Polaroid. Depuis 1977 il expose régulièrement en Europe et aux Etats-Unis.
Dans quelles circonstances avez-vous découvert l’œuvre de Gaudi ?
Nous avions décidé, avec un ami vénézuélien, également peintre, de visiter l’Espagne durant nos vacances de l’été 1965. Notre première étape importante fut Barcelone. Nous avons été immédiatement saisis d’une émotion si violente face à l’architecture de Gaudí que j’ai décidé d’en savoir plus sur son œuvre et que je me suis promis de revenir dès que possible.
Les livres m’ont été d’une grande utilité pour mener mon enquête. J’avais pu me procurer entre autres l’ouvrage de José Ráfols publié en 1928 dans lequel j’ai vu pour la première fois des meubles et objets de Gaudí. Ces publications anciennes m’ont beaucoup aidé dans la constitution de ma collection. Comme elles avaient aidé Joan Ainaud de Lasarte (1919–1995), directeur général des Musées d’art de Barcelone de 1948 à 1985, qui fut le premier à organiser des expositions sur l’Art Nouveau catalan et fit entrer au musée d’Art moderne les premières pièces d’artistes modernistes tels que Gaspar Homar, Joan Busquets, Lluis Masriera.
Dans la préface du catalogue de l’Esposición de artes suntuarias del Modernismo barcelonés qui s’ouvrit à l’automne 1964, il déclarait : « Je me suis trouvé comme un détective à la recherche des objets en me fondant sur le livre de Cirici Pellicer (il s’agit de El Arte modernista catalán publié en 1951) qui était richement illustré ; avec les conservateurs nous nous sommes aperçus de l’ampleur insoupçonnée des disparitions et destructions. Pensons par exemple à la quantité de mobilier qui a été nécessaire pour remplir les pièces de la Pedrera ; seuls sont restés en place, lors de la transformation radicale du décor, deux petites pièces en terre cuite de Lambert Escaler. »
De cette exposition Gaudí était d’ailleurs absent et il faut attendre 1969 avec l’exposition présentée à Madrid, El Modernismo en España, pour voir Gaudí représenté notamment par des meubles et pièces en fer forgé provenant de la casa Milá ainsi que par des photographies de ses réalisations.
Quels sentiments suscitait à l’époque de votre découverte l’œuvre de Gaudí ?
On peut dire qu’il régnait à cette époque une certaine indifférence héritée du mouvement du Noucentisme qui réagissait contre le Modernisme. Les partisans du Noucentisme, tel Eugeni d’Ors, n’ont cessé de dénigrer l’œuvre de Gaudí, allant jusqu’à réclamer son anéantissement.
Les effets des articles alors publiés ont contaminé toute une génération, y compris celle des disciples de Gaudí qui l’entouraient dans les dernières années de son activité. Où sont en effet les déclarations qui témoigneraient d’une prise de position en faveur de leur maître ? Gaudí était vraiment seul.
Salvador Dalí sera vraiment le premier artiste catalan à l’admirer et à prendre vigoureusement parti en faveur de son art. Dalí raconte que c’est Federico García Lorca qui lui fit découvrir les beautés de la Sagrada Familia et rapporte ses propos devant la Façade de la Nativité :
« J’entends un brouhaha de cris qui se font de plus en plus stridents en allant vers le ciel, jusqu’à se mêler avec les trompettes des anges dans une clameur que je ne pourrai supporter que quelques instants. »
En 1956 est créée à l’Ecole supérieure d’Architecture de Barcelone la Catedra Gaudí qui organise les premiers cours sur Gaudí, assure des publications et produit des expositions, comme en 1967 l’exposition Gaudí. Mais à la fin des années 1970 alors que s’affirme sur un plan international la reconnaissance de l’architecte, celui-ci à Barcelone même continue d’être ignoré par les habitants qui le considèrent certes comme quelqu’un de la famille, mais quelqu’un à moitié fou, à moitié génial.
Ses maisons, enveloppées d’un voile de mystère, dans lesquelles il était difficile de pénétrer, donnaient l’impression d’être abandonnées. La crasse s’accumulait sur le banc en céramique du Park Güell. Le seul endroit vivant était la Sagrada Familia où l’on continuait de construire.
La plupart des pièces d’ébénisterie et objets que j’ai acquis n’avaient pas été entretenus depuis fort longtemps et j’ai souvent dû les faire restaurer pour éviter une perte irrémédiable : c’est le cas des portes de la chapelle privée et de la vitrine de la salle à manger de la casa Batlló ainsi que de la majeure partie des objets et du mobilier provenant de la Casa Milá.
Avez-vous, au cours de vos recherches, rencontré des personnes qui avaient connu Gaudí ?
J’ai eu l’occasion de faire la connaissance de descendants de commanditaires de Gaudí qui m’ont fourni beaucoup de renseignements.
C’est ainsi qu’un descendant de Batlló m’a raconté qu’en 1936 pendant la guerre civile toute la famille Batlló avait quitté Barcelone pour se réfugier en Italie. Malgré la solidité des volets qui protégeaient les fenêtres, le gens se sont introduits dans la maison et ont emporté une partie du mobilier. Il m’a aussi appris que les balustrades des balcons en forme de masques étaient revêtues sur leur face interne d’une peinture dorée, ce qui ajoutait encore aux irisations de la façade.
Un membre de la famille Güell m’a révélé qu’un Américain avait voulu acquérir le palais Güell pour le démonter et le transporter pièce par pièce aux Etats-Unis, mais que Dona Mercedes, la fille du comte Güell, avait préféré laisser le bâtiment à la Diputació de Barcelone à la condition qu’il soit conservé dans son état.
Toutefois le mobilier, conservé par la famille, fut réparti entre les héritiers.
Il m’a également appris, en me montrant le grand paravent fait de panneaux en cuir de Cordoue qui se trouvait dans la salle à manger et les deux grands fauteuils en acajou massif fileté d’or qui eux provenaient du grand salon, que son père avait fait enlever les cuirs de ces deux fauteuils parce que les enfants les détérioraient en sautant dessus.
Au moment où j’ai acheté cet ensemble, il m’a donné un jeu de gravures du palais Güell que le comte avait commandées pour les joindre à l’envoi de Gaudí lors de son exposition à Paris en 1910 ainsi qu’une publication relative á la restauration des cuirs de Cordoue des fauteuils.
Autre exemple de rencontre : une arrière-petite-fille de Calvet me montrait dans sa maison des peintures du sculpteur Josep Llimona, du mobilier en bois doré de Joan Busquets quand tout d’un coup elle ouvrit une porte et je pus découvrir le mobilier de salle à manger de style Louis XV dessiné par Gaudí et que Casanelles mentionnait dans son ouvrage publié en 1965.
Depuis quelque temps, certains historiens de l’art accordent un rôle de tout premier plan au jeune Jujol lors de ses années de collaboration avec Gaudí. Quelle est votre position à ce sujet ?
Il est vrai que plusieurs chercheurs ont créé et continuent à alimenter une polémique relative aux rapports entre Gaudí et Jujol. Toute nouvelle parution – article, livre, catalogue – concernant Jujol lui attribue dans les travaux de Gaudí une part selon moi exagérée.
Il me semble évident que l’architecture de Jujol n’a ni la transcendance ni l’envergure de celle de Gaudí. C’est ainsi par exemple qu’on attribue à Jujol la façade céramique et les balcons en fonte de la casa Batlló, transformée par Gaudí entre 1904 et 1906. Cela me semble improbable étant donné que Jujol est titulaire de son diplôme d’architecte en 1906 et que ce n’est qu’à la fin de cette année-là que Gaudí le choisit comme collaborateur.
A cette époque, Gaudí est âgé de 54 ans et Jujol de 27 ; il est impensable que ce soit l’étudiant qui ait pu décider à lui seul de l’harmonie colorée de cette façade. N’oublions pas que, dès sa première grande réalisation, le palais Güell, de vingt ans antérieure à l’achèvement de la casa Batlló, Gaudí témoigne d’une utilisation architecturale de la couleur jusque-là jamais vue en imaginant les vitraux abstraits de l’étage noble et le revêtement en céramique cassée des cheminées et bouches de ventilation.
Ces applications nous les retrouvons au Park Güell, à la casa Batlló, à la casa Milá, à la Sagrada Familia et à la crypte de la Colonie Güell. Par ailleurs, nous disposons du témoignage d’un maçon, Ramon Dedeu, qui rapporte comment s’est opérée sous la seule direction de Gaudí la mise en place du revêtement de la façade de la casa Batlló.
A propos de la casa Milá, on a dit que c’est à Jujol que revenait la paternité des plafonds. Or Dedeu a également raconté comment Gaudí utilisait une toile métallique pour imprimer dans ces plafonds les reliefs qui flottent comme des nuages dans le ciel et évoquant l’aménagement de l’appartement des propriétaires, il s’émerveillait : « Je ne sais comment l’expliquer, mais dans tout le mobilier et la décoration il y avait la marque du maître. »
En ce qui concerne le mobilier créé par Jujol, je voudrais faire une remarque.
Quand on lui a commandé la décoration en 1911 de la boutique Manach, Jujol a réalisé un comptoir, quelques meubles de rangement ainsi que des chaises pour les clients.
C’est un ensemble que je connais bien pour l’avoir examiné il y a quelques années. Les chaises sont en bois et fer forgé, les trois pieds étant réunis par un anneau soudé qui leur donne une certaine stabilité.
Sur une photo d’époque provenant des archives Jujol, ces chaises apparaissent mais sans anneau. Cet anneau en forme de huit a donc été rajouté postérieurement par Jujol lorsque le pied de devant fixé au bois par une platine et des vis, a cédé à l’usage. Voilà un exemple concret des faiblesses de Jujol dans le domaine de l’ébénisterie. L’assise est d’ailleurs fort inconfortable.
Nous sommes très loin des préoccupations de Gaudí qui aurait pensé, dès le départ, comme le montrent ses créations dans le domaine de l’ébénisterie, au confort et à la solidité de la fabrication.
Il convient également de rappeler cette déclaration d’Enrique Casanelles, premier secrétaire de l’association Les Amis de Gaudí, extraite de son livre Nueva Visión de Gaudí (1965) «Le colorisme de Jujol sous le contrôle de Gaudí n’a jamais connu les faiblesses que nous constatons dans les œuvres personnelles de Jujol.»
Gaudí a-t-il selon vous influencé la création artistique du XXe siècle ?
En décembre 1958 la revue Los Papeles de son armadans rendit hommage à Gaudí : la couverture du numéro était une lithographie de Miró et de nombreuses personnalités (Enrique Casanelles, Azorin, Benjamin Palencia, Ramon Gómez de la Serna, Eduardo Westerdalh, Anthony Kerrigan, C.L. Popovici, Fernando Chueca Goitia) avaient apporté leur collaboration.
L’un des textes, Poliformismo de Gaudí, écrit par le peintre-architecte turinois Alberto Sartoris, se terminait par cette déclaration : « Dans le monde entier, on a trop parlé de Picasso et pas assez de Gaudí. »
N’oublions pas que, lorsqu’il habitait Barcelone, Picasso possédait un atelier situé en face du palais Güell ; il est plus que probable qu’il a vu les vitraux cubistes et les revêtements céramiques abstraits qui s’y trouvaient. Miró n’a jamais cessé d’admirer l’œuvre de Gaudí. Jeune il a pu voir les travaux de restauration entrepris à la cathédrale de Palma de Majorque ; plus tard il a beaucoup regardé l’œuvre de Gaudí et appréciait tout particulièrement le Park Güell.
Le fameux banc en trencadís du parc n’est-il d’ailleurs pas considéré comme un Miró avant la lettre ? Les sculpteurs Julio Gonzales, originaire de Barcelone comme Miró, et Pablo Gargallo ont utilisé le fer forgé d’une manière semblable à celle dont Gaudí l’utilisait dans ses architectures.
Quant à Niki de Saint-Phalle, elle considère Gaudí comme son maître. En 1980, elle réalise en Toscane Le Jardin des Tarots, composé de 22 sculptures monumentales, qui constitue un véritable hommage au Park Güell.
En 1975, j’exposais à New York, à Washington Square, un mural flottant intitulé "The History of War", dénonçant la guerre du Viêt-Nam ; parmi les artistes qui se trouvaient là, il en est un dont j’ai fait la connaissance et avec qui j’ai beaucoup parlé de Gaudí. Il était particulièrement intéressé par le trencadís. Plus tard ses grandes toiles réalisées avec des assiettes cassées ont contribué à sa célébrité. Son nom est…Julian Schnabel.